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Définition de la praxis infirmière.

Commencer ce travail par une réflexion sur la différence entre "pratique" et "praxis" peut paraître surprenante pour un lecteur de langue française[1]. Pourtant elle va nous permettre d'appréhender d'emblée, et ainsi nous plonger directement dans ce qui caractérise un soin au regard des sciences humaines[2].

Aristote a été le premier à employer le terme de praxis en tant que pratique qui se distingue de la poïésis par son objectif. Pour lui "la praxis (ou actions au sens strict) correspond aux actes politiques et moraux, tous les actes qui ont pour fin l'accomplissement d'un bien quelconque, la poïésis (ou création ou reproduction) elle correspond aux activités productives, au travail compris comme production de valeur d'usage, de biens et de services utiles à la vie. La production est comprise comme art ou techné. »

Pour Aristote il y a donc deux pratiques. Une visant à obtenir une production (la poïésis) et l'autre à produire un effet dans les relations sociales (la praxis). Il désignait alors comme praxis tous les actes politiques (ou moraux) alors que sous le terme de poïésis il entendait plutôt les actes de production telle que ceux de biens, ou de services, utiles à la vie quotidienne.

D'une certaine manière, et l'époque correspondaient à cette façon de penser, Aristote placait l'activité en deux niveaux de compétences différents. Le terme "praxis" s'appliquait au travail que devaient faire les personnages dotés d'intelligence et de pouvoir (les maitres) alors que celui de "poïésis" s'appliquait aux tâches des personnes qui n'avaient pas besoin de réfléchir mais seulement d'exécuter (les esclaves.).

C'est probablement cette classification des tâches selon les niveaux sociaux de ceux qui les exécutent qui a posé problème à Marx et aux défendeurs de la philosophie communiste comme Engels. Ils désapprouvent la prétendue supériorité de la pensée sur l'action et réagissent en avançant une supériorité de l'action sur la pensée. Ils défendent même l'idée d'une transformation de la pensée par l'action est donc d'une praxis ce dans la poïésis.

Ce qui reste néanmoins de permanent c'est l'idée que la praxis ne se trouve pas dans l'acte lui-même mais dans l'objectif de transformer l'humain, ou en tous cas ses relations sociales.

Pour être plus clair je vais donner un exemple pris dans le contexte contemporain.

Une personne est mécanicienne de son métier. Dans le cadre de son travail elle va réparer la voiture que son chef lui a indiquée. L'action (réparer la voiture) ici est directement liée à son objectif (la réparation de la voiture). Ce même mécanicien rentre chez lui et sur la route croise un automobiliste en panne. Il s'arrête et répare la voiture. Dans ce cas, l'acte réalisé révèle d'une praxis. Il ne s'agit pas de s'arrêter uniquement dans le but de s'arrêter ni de réparer la voiture mais d'aider l'automobiliste. Pour cela il pourra utiliser différents biais dont celui de réparer la voiture. Dans ce cas l'objectif est d'aider quelqu'un en difficulté, de lui rendre un service et l'action utilisée n'est qu'un support. L'objectif réel n'est pas la réparation mais de venir en aide.

Dans la première situation, l'objectif est uniquement la production de l'acte.

Dans la seconde situation, l'objectif est intégré dans l'acte. Il est lié à celui qui fait cet acte et à celui qui le destine.

Aristote avait, au travers de cette distinction, praxis/poïésis, conceptualisé ce qui était alors la pensée grec. En effet, si les Grecs avaient des esclaves, ce n'était pas pour faire le travail des maîtres, ni parce que ceux-ci rebutés à la tâche mais plutôt parce que le travail de service était considéré comme seulement tournée vers le profit et la substance physique. Il pensait que ce travail n'apportait rien à l'accomplissement de soi. Il se réservait donc les tâches de commandement et de valeurs qui relevaient de la praxis.

C'est justement ce clivage entre un travail noble et un de simples exécutants que la philosophie marxiste remettra en cause. Pour Marx tout travail relève d'une praxis et ne peut se limiter à son simple objectif de production. Il défend l'idée que tout travail à une valeur d'accomplissement de soi et que l'organisation, la place et le choix de celui-ci interagit sur les valeurs morales, économique et politique de la société (donc de l'homme).

Nous pouvons donc dire que la "pratique" professionnelle et la mise en œuvre d'actes, par l'individu, en vue d'une production. Seule celle-ci va orienter le choix des actes. Par exemple, c'est ce qui a lieu dans les pratiques professionnelles de type industrielles (soudeur, mécanicien......). Par contre la "praxis" professionnelle va consister à mettre en œuvre une action, sous-tendue par une représentation idéologique, dans le but de la réalisation d'un acte qui inclut celle-ci. Pour le mécanicien précédemment cité, nous avons vu que, dans la deuxième situation, l'acte était porté par l'objectif de rendre service alors qu'il était l'objectif lui-même dans la première.

Dans notre travail, ce qu'on appelle « l'écoute passive » du patient et sous-tendue par l'idéologie psychanalytique qui consiste à donner à « la parole » une place particulière dans la "réalisation du sujet". Le but recherché étant « la reconstruction » du patient, mais ce but inclut l'idéologie de base (« dire c'est faire », « l'inconscient n'est que langage ».....). Il est évident qu'une praxis sous-tendue par une idéologie[3] comportementaliste, organiste

, animiste ou vaudou serait complètement différente. Pourtant elles ont toutes le même but final : le soin. Ce n'est donc pas le seul but (ici le soin) qui oriente la pratique. Celle-ci va être largement déterminée par la philosophie, l'idéologie, les représentations que l'on a de la notion de soins, les concepts explicatifs de la maladie et bien d'autres facteurs théoriques. Nous verrons que pour l'infirmier en psychiatrie, sa praxis sera donc tout autant déterminé par la représentation qu'il a de la maladie mentale que, par les connaissances théoriques qu'il aura acquises ou, la place qu'il attribue aux malades mentaux dans la société dans laquelle il évolue.

Par exemple, l'entretien infirmier est une pratique, en psychiatrie, qui n'existe que parce qu'il y a des théories qui la sous-tendent. Dans le cas contraire, il ne s'agirait pas d'un entretien mais d'une discussion ou d'un bavardage. Nous pouvons alors dire, qu'en psychiatrie, l'entretien infirmier fait partie de la praxis infirmière. En fait, l'ensemble des pratiques qui se réfèrent au champ des sciences humaines sont des praxis. Leurs objectifs, et les moyens mis en œuvre, son sous-tendue par des théories sociales, philosophiques ou psychologique. Il n'est donc pas excessif de considérer que l'essentiel du travail de l'infirmier en psychiatrie est une praxis.

En d'autres termes, c'est par la compréhension, l'apprentissage de ces concepts, constructeurs de sa praxis, que le jeune infirmier pourra apprendre ce que sera sa "praxis infirmière".

Comme vous l'avez compris, ce livre a pour objectif d'aborder, et surtout de conceptualiser des différents éléments qui constituent les bases de la praxis de l'infirmier en psychiatrie.

 

[1] Le terme « praxis » est couramment utilisé dans la langue allemande mais très rarement en français.

[2] Le travail en psychiatrie, et donc les soins qui lui sont propre, relèvent des science humaines alors que celle-ci n’apporte qu’un plus aux soins techniques.

[3] Toutes théories, fussent-elles la plus scientifique, n’est qu’une perception du monde. Il s’agit d’une « idée » de la manière dont fonctionne le monde. C’est donc en soi une idéologie.C’est pourquoi les théories évoluent dans le temps, selon le contexte et les connaissances. Une théorie n’est pas une connaissance, même si elle en inclut, mais une explication, une croyance.

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